Carte blanche de l'Institut national d'histoire de l'art

Une approche matérielle de la sculpture « bourbonnaise » des XVe et XVIe siècles : la collection du musée Anne-de-Beaujeu de Moulins

Carte blanche 2023 de l’Institut national d’histoire de l’art pour l’histoire de l’art en région

 

Le Centre d’Histoire « Espaces et Cultures », le département d’Histoire de l’art et archéologie de l’Université Clermont Auvergne, et le musée départemental Anne-de-Beaujeu de Moulins collaborent actuellement à un projet vaste et ambitieux : l’étude scientifique de la collection des sculptures du musée, en vue de la publication du catalogue, prévue pour fin 2024. Les travaux sont dirigés par et Giulia Longo (conservateur du patrimoine, musée Anne-de-Beaujeu) et Daniele Rivoletti (maître de conférences en histoire de l’art moderne, Université Clermont Auvergne).

Dans le cadre de ce grand chantier de travail, les directeurs du projet ont obtenu pour 2023 la « Carte blanche » de l’Institut national d’histoire de l’art pour l’histoire de l’art en région, en proposant un projet de recherche sur les matériaux et sur les techniques de la sculpture des XVe et XVIe siècles. Grâce au financement et au support scientifique de l’INHA, il sera ainsi possible de progresser dans la connaissance des collections de sculptures du musée en vue de la publication du futur catalogue.

L’essentiel de cette collection a fait l’objet d’études stylistiques et historiques. Néanmoins, les matériaux et les techniques de ces œuvres n’ont jamais bénéficié d’une étude globale et d’analyses spécifiques. À travers la Carte blanche, ils seront maintenant au cœur de la recherche. Le projet s’articule autour de deux thèmes principaux : les matériaux lapidaires (A) et la polychromie (B).

A. Circulation des matériaux et des artistes, évolution des savoir-faire

Il est bien connu que la création sculpturale dans le Bourbonnais est marquée par le déplacement des artistes, souvent issus d’autres contextes géographiques et culturels. La circulation des matériaux reste en revanche à questionner. Si un groupe remarquable des sculptures des XVe-XVIe siècles du musée Anne-de-Beaujeu semble avoir été exécuté à partir d’une pierre locale, le calcaire d’Apremont, les marbres et les albâtres n’ont jamais fait l’objet d’analyses. Or, dans l’Allier il n’existe pas de carrières de ces deux matériaux susceptibles d’être exploitées pour la sculpture. Préciser leur origine géographique permettrait par conséquent d’interroger deux problèmes plus vastes : d’une part examiner les éventuels liens entre la circulation des pierres et celle des sculpteurs, de l’autre comprendre comment l’introduction de nouveaux matériaux a pu faire évoluer le savoir-faire et la technique des artistes.

Une étude de cas est révélatrice des enjeux liés aux matériaux. Lors des recherches préalables à l’exposition La sculpture bourbonnaise (musée Anne-de-Beaujeu, 2019-2020), l’analyse à l’œil nu a révélé que trois statues de saints attribuées à Jean de Chartres – artiste de cour à l’époque de Pierre II de Bourbon et d’Anne de France – font un usage rare et savant des matériaux : si les drapés sont taillés dans le calcaire, les carnations, mutilées à la Révolution, devaient en revanche être façonnées en albâtre. Ce procédé était exceptionnel à l’époque en dehors du domaine funéraire ; aucune autre attestation n’est aujourd’hui connue pour le duché de Bourbon. Les rares exemples comparables se concentrent dans la vallée de la Loire, à Limeray ou encore à Nantes : cette circulation des techniques et des matériaux de la sculpture à une échelle large permet ainsi de mieux définir la géographie artistique du Bourbonnais et de préciser les échanges que Moulins a entretenus avec d’autres centres de l’époque.

B. La polychromie des sculptures et le métier de peintre

La plupart des sculptures des XVe-XVIe siècles dans le duché de Bourbon étaient complétées par une polychromie partielle ou intégrale. Ce procédé a souvent été négligé dans l’historiographie, dans la mesure où de très nombreuses œuvres ont été décapées aux XIXe-XXe siècles et ainsi privées de leur couche picturale. C’est pourquoi nos connaissances sur l’emploi de la polychromie par les imagiers du Bourbonnais sont aujourd’hui très limitées. Analyser la surface peinte permettrait néanmoins d’éclairer un problème plus vaste, celui du métier de peintre au tournant entre Moyen Âge et Renaissance. Au fil des dernières décennies, les études ont progressivement découvert l’ampleur des champs cultivés par les peintres du Bourbonnais : non seulement la peinture sur panneau de bois, mais aussi le vitrail, sans oublier l’enluminure. La sculpture demeure en revanche un terrain encore à explorer. Quels peintres collaboraient-ils avec les sculpteurs ? La technique et les matériaux de la polychromie étaient-ils les mêmes que pour la peinture sur panneau ?

En prolongement des recherches menées par Daniele Rivoletti et Maud Leyoudec en 2018 et en 2019 sur la sculpture bourbonnaise, cet aspect sera maintenant étudié à travers une série d’analyses matérielles et techniques sur des études de cas significatifs du musée Anne-de-Beaujeu. Il n’y a jamais eu de campagne d’analyse des couches picturales de ces sculptures, bien qu’au moment de l’organisation de l’exposition une réflexion ait été menée en collaboration avec les équipes C2RMF. Ce chantier nourrira non seulement les recherches sur la collection du musée, mais aussi les travaux sur l’art dans le Bourbonnais entre Moyen Âge et Renaissance.

Équipe

Les recherches sont dirigées par Giulia Longo et Daniele Rivoletti en collaboration avec Lise Leroux (ingénieur de recherche, Laboratoire de recherche des monuments historiques) et Jennifer Vatelot (restauratrice du patrimoine). Les travaux sont orientés par le comité scientifique suivant, composé d’enseignants-chercheurs et de professionnels du patrimoine :

  • Marion Boudon-Machuel, professeur et directrice du Centre d’études supérieures de la Renaissance, université de Tours ;
  • Anne Embs, conservateur du patrimoine, conservateur régional des monuments historiques, DRAC Centre – Val de Loire ;
  • Guillaume Fonkenell, conservateur du patrimoine, musée national de la Renaissance – château d’Écouen ;
  • Alexandra Gérard, conservateur du patrimoine, responsable de la filière Sculpture, Centre de recherche et de restauration des musées de France,
  • Jean-Marie Guillouët, professeur, université de Bourgogne ;
  • Sophie Jugie, conservatrice du patrimoine, directrice du département des Sculptures, musée du Louvre ;
  • Matthieu Pradels, chargé de mission Patrimoine, musée de Souvigny ;
  • Pierre Taillefer, conservateur du patrimoine, Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Auvergne – Rhône-Alpes ;

L’équipe est intégrée par des étudiants et doctorants travaillant sur les arts en Bourbonnais :

  • Antoine Robin, doctorant à l’École pratique des hautes études, chargé d’études et de recherche, Institut national d’histoire de l’art ;
  • Evaelle Baumann et Louison Lareure, étudiants du Master recherche Histoire, civilisations, patrimoine de l’Université Clermont Auvergne.

Cette page présentera les travaux de la Carte blanche et sera alimentée régulièrement en 2023.