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THEREPSICORE
Trois années clés ont été retenues pour fixer les bornes chronologiques de l’enquête :
- 1791, année de proclamation de la liberté des théâtres et de celle, pour tout citoyen d’élever une scène dramatique publique, moment qui produit une efflorescence et une recomposition des troupes françaises ;
- 1806 et 1813, années d’enquêtes impériales dans une France et des territoires annexés redécoupés en grands arrondissements théâtraux, avec la volonté de distribuer autoritairement les genres sur des scènes françaises que le pouvoir voudrait étroitement limiter et contrôler – il n’arrive véritablement à ses fins que dans la capitale. Par l’intermédiaire des autorités responsables (conseillers d’État chargés des arrondissements de police générale, préfets et maires), un questionnaire est donc adressé aux directeurs de troupes en 1806 puis, à nouveau, en 1813, chacun faisant le bilan de la période qui précède, en neuf points qui passent au crible tous les secteurs de l’activité théâtrale : « 1. Quel est le nombre de spectacles ? 2. Quel est le genre de spectacle ? 3. Quelle est la forme de son administration ? 4. Quel est le nombre des acteurs, gagistes et autres employés au service du théâtre ? 5. Quel est le montant des recettes brutes et nettes ? Et quels ont été les bénéfices de chaque année ? 6. Quels sont les engagements réciproques des entrepreneurs et des acteurs ? 7. Quels sont les droits des auteurs ? 8. Quel est le nombre moyen des spectateurs par jour ? 9. Quel est le nombre des représentations ? ».
Les rapports dressés par les directeurs sont conservés dans les séries F7 3493 et 8748 des Archives nationales, ensemble de tableaux et de lettres qui ont été microfilmés. Rares sont les directeurs qui répondent exactement et immédiatement à toutes les questions posées, mais leurs réponses sont progressivement complétées, de mois en mois, par des courriers successifs. En l’occurrence, la source s’avère exceptionnelle, et sert de base à l’enquête prosopographique sur le personnel et le répertoire des théâtres provinciaux. Chacun des documents précédemment évoqués ne mentionnant pas nécessairement les noms de tous les artistes et de tous les membres d’une troupe ou d’un théâtre, l’enquête se jouera alors dans les dépôts d’archives départementaux et municipaux (séries L, M, T, éventuellement F et J – recélant des correspondances particulières - pour les premiers, registres de délibération pour les seconds, plus selon l’état des classements), et dans le recours aux journaux départementaux contemporains. Délibérations, arrêtés préfectoraux et municipaux livrent essentiellement des informations sur les salles de spectacle, sur les règlements intérieurs et les mesures de police les concernant, mais ils consignent aussi les contrats passés avec les administrateurs de troupes. Des tableaux dressés par les directeurs de troupe proposent des listes de répertoires, classées par genres, offertes à la censure des autorités locales et départementales ; des listes de pièces jouées, avec la chronologie des représentations ; des listes de la distribution, la plupart du temps limitées aux comédiens, comédiennes, musiciens et musiciennes, ce qui n’exclut pas, ça et là, la mention d’un concierge, d’un souffleur, d’un accessoiriste ou d’un ouvreur. D’un département à l’autre, les gazettes révolutionnaires puis impériales ne traitent pas également des questions théâtrales, purement et simplement absentes de certaines ; quand elles les abordent, avec une périodicité très variable, elles privilégient les annonces de spectacles (programmation, dates, tarifs, distribution, soit une reproduction des rares affiches qui subsistent par ailleurs) ou les comptes-rendus, qui peuvent, au-delà des thèmes précités, nous donner des informations sur la qualité du jeu, du texte, du public.
Le dépouillement de ces sources permettra la constitution d’une base de données prosopographiques la plus complète possible concernant les conditions de la vie dramatique dans les départements sous la Révolution et l’Empire. Elle sera déclinée en trois fichiers complémentaires :
- une table des personnels : sexe, âge, patronyme, nom de scène, état matrimonial, emplois successifs, troupe(s) et théâtre(s) de rattachement, itinéraire(s) des tournées, salaires, critiques sur l’art des comédiens, etc.
- une table des salles de spectacles : localisation, appellation, troupes accueillies, nombre et fonctions des employés, architecture, gestion et revenus de la salle, saison théâtrale, mesures de police et incidents, etc.
- une table des pièces : titre, genre, auteurs, lieu et date de représentation, dépenses et recettes, nombre de spectateurs, nom de la troupe interprète et des principaux comédiens, conditions de la représentation, annonces et affiches, critique, etc.
Cet inventaire constitue le préalable incontournable à toute tentative de compréhension des mutations esthétiques et des interactions culturelles et sociales caractéristiques de la période. Nous insisterons tout particulièrement sur les points suivants (qui correspondent aux trois entrées de la base de données) :
- Les conditions de représentation
Quel a été l’impact du décret de janvier 1791 sur les conditions de la vie théâtrale en province ? La liberté d’entreprendre dans le domaine des spectacles s’est traduite par l’ouverture de quarante-cinq nouvelles salles en province, sans parler de l’éventuelle utilisation des édifices non spécifiques (églises, auberges...) : quelles étaient les caractéristiques de ces nouvelles salles et les conditions de leur exploitation ? Quelle a été leur pérennité ? Ont-elle été amenées à se spécialiser, voire à fermer leurs portes, sous l’Empire à l’instar des théâtres parisiens ? Cela soulève la question de la politique culturelle encouragée ou non par les différents préfets. On pourra également s’intéresser à la constitution des troupes : leur composition numérique leur donne-t-elle accès à tous les répertoires ? Sont-elles toujours itinérantes, comme cela semble avoir été massivement le cas des troupes professionnelles provinciales sous l’Ancien-Régime et empruntent-elles toujours les voies privilégiées identifiées par Max Fuchs ?
Il sera intéressant d’envisager les liens éventuels entre ces troupes professionnelles et les théâtres d’amateurs mais aussi, bien entendu, les relations que ces troupes entretiennent avec les autorités locales et les représentants des différents régimes politiques.
- La construction des carrières
La durée sur laquelle porte notre étude permet d’envisager les parcours des acteurs sur deux décennies. La constitution des troupes se fait-elle toujours selon les mêmes règles que sous l’Ancien-Régime ? Quels liens juridiques, familiaux, économiques sont à l’œuvre entre le directeur de la troupe et ses employés ? Y a-t-il une relative pérennité des troupes et une stabilité des effectifs au sein de celles-ci ou les difficultés matérielles et les conflits politiques accélèrent-ils les mutations dans ce domaine ? Les troupes de province affichent-elles clairement une identité politique ou cherchent-elles avant tout à traverser les périodes successives sans trop de dommages ? Apparaissent-elles toujours comme un réservoir d’acteurs pour les scènes parisiennes ? Profitent-elles, à l’inverse, de l’apport de troupes ayant fait faillite à Paris ou ne bénéficiant pas sous l’Empire de privilège ?
Il sera également très intéressant d’observer ce qui se passe dans les territoires annexés par la France, à partir de 1796 : quelles sont les troupes qui y circulent ? Quelles sont les missions qui leur sont confiées et les perspectives de carrières offertes aux acteurs qui exportent ainsi leurs talents ?
- Les répertoires et leur réception
La question des répertoires est particulièrement intéressante. Doit-on envisager que les scènes de province répercutent l’offre parisienne dans sa variété ou des choix sont-ils nettement opérés en fonction de la conjoncture locale ? Des nouveautés peuvent-elles être représentées ? Si oui, sont-elles le fait de troupes professionnelles ou de troupes d’amateurs ? S’agit-il de pièces publiées mais non représentées dans la capitale ou de productions locales qui feraient écho à l’actualité locale ? Comment certaines troupes actives dans les territoires étrangers s’approprient-elles par le biais de traductions ou d’adaptations, les répertoires des zones occupées ? Comment exportent-elles le répertoire français ?
La question des traductions (adaptations) dans le domaine franco-allemand ou franco-italien est alors cruciale, en un moment où se développe la théorisation de la traductibilité entre langues. Si pendant les Lumières les langues, du moins les langues européennes, sont considérées comme plus ou moins riches, élégantes, plus ou moins adaptées à tel ou tel genre textuel et nécessitant un perfectionnement plus ou moins poussé, on leur attribue néanmoins un pouvoir virtuellement égal dans l’expression des contenus mentaux présupposés communs. En revanche, vers la fin du XVIIIe siècle, on assiste d’une part aux débuts du comparatisme linguistique (W. Jones, A.W. Schlegel) entraînant des visions relativistes : les différentes langues se présentent de plus en plus intimement reliées à différents modes de pensées voire exprimant différentes visions du monde (W. von Humboldt) et certains auteurs postulent alors une opacité intrinsèque des langues – celles-ci étant devenues d’ailleurs dans la linguistique romantique des « organismes » – rendant ainsi impossible la traduction « fidèle », « totale ».
D’autre part, la concurrence entre le français et l’allemand, se développant du côté allemand dès le XVIIe siècle (cf. G.W. Leibniz, Chr. Thomasius), s’accentuant au XVIIIe siècle (cf. J.Chr. Gottsched, J.G. Herder) se trouve exacerbée en pays germanophones au début du XIXe siècle en raison de l’occupation napoléonienne. Se développe à ce moment-là un nationalisme linguistique francophobe qui s’exprime souvent de manière polémique et violente (K.W. Kolbe, E.M. Arndt en Allemagne, le théâtre en langue vernaculaire dans les cités italiennes).
La période visée (1791-1813) correspond ainsi assez nettement à un changement d’approche théorique de la coexistence entre plusieurs langues et des questions de traduction.
À partir des livres de comptes, quand ils demeurent, et plus souvent des archives de police, nous essayerons également d’appréhender la diversité sociale des publics et d’établir le lien entre offre culturelle et soucis d’ordre public. Les choix de programmation et les recensions critiques disponibles (essentiellement dans les journaux), nous aideront à évaluer les voies de la construction du goût particulier et collectif et la diffusion éventuelle des topiques des théâtres parisiens ou des grands théâtres provinciaux (Bordeaux, Lyon, Rouen, Strasbourg, Rennes, Toulouse...).
Cette problématique pluridisciplinaire réunira des historiens spécialistes de la Révolution et de l’Empire (et particulièrement de l’histoire culturelle et politique), des littéraires et historiens des idées, et des linguistes spécialistes des théâtres français et étrangers de la période.
Ils appartiennent au Centre Histoire et Cultures (CHEC) de Clermont-Ferrand (Philippe Bourdin, Karine Rance, Friederike Spitzl-Dupic, Anne Deffarges, Sébastien Pivoteau, Cyril Triolaire, Romuald Féret), à l’équipe « Révolutions et Romantismes » du Centre de recherches sur les Littératures et la Socio-poétique (CELIS) de Clermont-Ferrand (Françoise Le Borgne, Fanny Platelle, Gérard Loubinoux, Paola Roman, Gérard Laudin – membre de l’Équipe d’accueil « Expressions historiques, culturelles et esthétiques de l’identité. Espaces germanique, nordique, néerlandophone » de Paris IV), et au Centre d’Étude de la Langue et de la Littérature françaises des XVIIe et XVIIIe siècles (CELLF 17e-18e) de Paris IV (Pierre Frantz, Sophie Marchand).
PARTENAIRES
. CELIS (Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique) : https://celis.uca.fr . CELLF (Centre d'Etude de la Langue et de la Littérature Françaises des XVIIe et XVIIIe siècles) : https://cellf.cnrs.fr
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