Axe 3 : Archéologie et histoire des territoires : dynamiques et représentations

Responsables : Frédéric Trément, Stéphane Gomis


Archéologues, historiens, historiens de l’art et civilisationnistes se proposent de poursuivre leur réflexion sur la notion de territoire, dans ses multiples dimensions – politiques, économiques, sociales, culturelles, religieuses, environnementales – dans une perspective interdisciplinaire, diachronique et comparatiste. Au-delà de la dimension institutionnelle du territoire – conçu comme forme d’organisation de l’espace en vue d’administrer les choses et les hommes – il importe d’appréhender la variété, dans le temps et l’espace, des pratiques matérielles et symboliques à l’œuvre dans sa construction ; de saisir ces derniers au cœur d’un système multiscalaire, interagissant avec des temporalités et des jeux de flux complexes dans la longue durée ; de rendre compte des savoir-faire fondateurs de territoire (approprier, valoriser, habiter, communiquer et gérer) et de la multiplicité des acteurs qui, par leurs actions et leurs jeux de pouvoir, participent de manière concrète mais aussi symbolique, à la production du territoire.


Au regard du bilan du quinquennal en cours, il nous a semblé opportun de définir un objet commun d’étude permettant d’œuvrer collégialement plus étroitement encore. Le choix s’est porté sur le thème du « village ». Nous avons choisi de considérer celui-ci comme un processus matériel et social de peuplement et d’organisation du territoire, sous l’aspect d’un habitat permanent, plus ou moins aggloméré et/ou polarisé, à fonction agraire ou agro-pastorale dominante, présentant au moins un premier degré de centralité, tendant à délimiter un territoire assujetti et à s’organiser en communauté identifiée, forte de pouvoirs et de services, se reconnaissant ou étant reconnue comme telle.


Le Massif central constituera un laboratoire privilégié pour les recherches conduites par les archéologues et les historiens. Des espaces voisins (vallée du Rhône, Dauphiné, Provence et Languedoc, grandes villes et ports méditerranéens) ou plus lointains (Portugal, Italie, Maroc, Chypre, Proche-Orient, États-Unis) offriront la possibilité d’analyses comparatives, et la prise en compte de l’effet des flux globaux.


Les travaux qui seront conduits s’articuleront autour de trois thèmes de recherche.

Participants :

19 Enseignants-Chercheurs : Marie Bolton, Catherine Breniquet, Olivier Bruand, , Pierre Charbonnier, Frédéric Faucon, Vincent Flauraud, Patrick Fournier, Jean-Luc Fray, Carlotta Franceschelli, Stéphane Gomis, Laurent Lamoine, Stéphane Le Bras, Stéphanie Maillot, Céline Perol, Bruno Phalip, Blaise Pichon, Annie Regond, Anne Rolland-Boulestreau, Frédéric Trément
 

29 doctorants et docteurs : Thomas Areal, Lise Augustin, Ariane Aujoulat, Florian Baret, Melinda Bizri, Lisa Bogani, Maxime Calbris, Gilles Chastaing, Marie Coursol-Delpy, Marion Dacko, Mame Biraf Diouf, Pauline Dubois, Aurélie Ducreux, Juliette Dumas, Franck Fassion, Laurent Fiocchi, Clément Gomy, Anne-Charlotte Javonena, Damien Martinez, Guy Massounie, Julien Muzard, Émeline Retournard, Julia Reveret, Gaia Roversi, Stéphanie Sciortino, Antoine Scholtès, Vincent Serrat, Côme Simien, Jérôme Trescarte
 

● 2 ITA : Isabelle Langlois (IE) et Zoran Čučković

 

Thème 1 : Dynamiques spatiales du développement des territoires (DYSPATER)

Le programme DYSPATER permet de coordonner les activités de recherche et de terrain des archéologues, enseignants-chercheurs, chercheurs associés mais aussi nombreux étudiants de master et doctorat. Trois axes de recherche seront développés.


Dynamique des systèmes de peuplement :

Il s’agit de caractériser la dynamique des systèmes de peuplement dans la longue durée, à l’échelle du Massif Central, en combinant approches archéologiques, historiques et paléoenvironnementales. Une large place est accordée aux méthodes de l’archéologie spatiale (prospections pédestres, aériennes, géophysiques, géochimiques, télédétection et notamment lidar) pour appréhender les formes de l’habitat et l’organisation des territoires dans des milieux variés. L’importance accordée aux interactions sociétés-milieux dans la construction des paysages explique l’ouverture aux approches paléoenvironnementales. Les recherches en cours portent principalement sur l’Auvergne (territoires des Arvernes et des Vellaves) et le Limousin (Lémovices), en particulier sur les espaces de moyenne montagne, qui ont fait l’objet de trois thèses déjà soutenues et de deux autres en cours, ainsi que d’un programme FEDER (AGES). Le projet fédère de multiples opérations de terrain (Prospections-Inventaires et Thématiques du ministère de la Culture, fouilles programmées, sondages), plusieurs Projets Collectifs de Recherche (PCR Habitat rural antique de la moyenne montagne corrézienne, PCR HaGAL : Habitat groupé antique de la cité des Lémovices) et un projet soutenu par la MSH (MINEDOR 2 : Caractérisation archéologique et paléoenvironnementale des mines d’or arvernes de Haute-Combraille. Apports de la géochimie et du lidar). Lors du prochain quinquennal, le traitement des données des prospections systématiques conduites depuis 1996 en Limagne sera articulé avec celui des prospections réalisées en Languedoc oriental. S’agissant là des deux plus vastes programmes de ce type mis en œuvre à ce jour en Europe, ce sera là une opportunité exceptionnelle d’appréhender des systèmes de peuplement dans leur continuité spatiale et temporelle. De nouvelles fenêtres d’investigation seront ouvertes, notamment dans la partie méridionale du Massif Central (territoires des Gabales et des Rutènes). Les fenêtres déjà ouvertes en Auvergne et en Limousin feront l’objet d’études plus poussées en fonction de leur potentiel archéo-environnemental (fouilles, sondages, analyses paléoécologiques et géochimiques). Le renforcement de la collaboration avec l’Unité d’Archéologie de l’Université du Minho (Braga, Portugal) et le Laboratoire d’Archéologie de l’Université de Bologne permettra d’engager une démarche comparatiste et multiscalaire de modélisation des processus de développement régional dans la longue durée.


Villes, urbanisme, élites et réseaux urbains :

Les travaux conduits dans le cadre de DYSPATER ont mis en lumière le rôle crucial des oppida, des agglomérations secondaires et des petites villes dans le développement régional depuis l’Âge du Fer, ainsi que celui des élites urbaines. Deux thèses ont été soutenues sur cette question. Plusieurs sites protohistoriques régionaux (notamment des sites de hauteur du premier âge du Fer) font l’objet de fouilles. Le dossier de Vichy antique est repris dans le cadre d’une thèse. Les fouilles en cours sur le municipe d’Ostra (Italie) seront pérennisées et, à Néris, celles conduites ces dernières années seront exploitées et publiées. Le réseau « agglomérations secondaires antiques » constitué à l’échelle du Massif Central sera intégré dans la dynamique des recherches en cours au plan national et international.

Production, transformation, échanges :

Cette thématique importante a été abordée à travers différents types d’approches (fouilles, analyses, typologies, synthèses, études paléoenvironnementales), ainsi que plusieurs programmes de recherche (AGES pour le pastoralisme, MINEDOR et HaGAL pour l’extraction minière). Plusieurs thèses ont porté récemment (ou portent encore) sur la production de céramique et le mobilier métallique pour les périodes protohistorique, antique et médiévale. Une thèse franco-italienne a démarré sur la circulation des amphores dans le Massif Central à l’époque romaine. De nouveaux types de productions feront l’objet de recherches, notamment les meules en matériaux d’origine volcanique (inventaire, approche techno-typologique, identification des carrières, traçage de la diffusion). Le PCR ArchéoMartres (Étude et valorisation des collections archéologiques gallo-romaines de la nécropole des Martres-de-Veyre conservées au musée Bargoin de Clermont-Ferrand) occupe une place centrale, de même que les recherches sur la construction, les techniques et les transferts. Enfin, il est envisagé d’étendre les recherches sur les mines d’or aux mines d’argent en utilisant l’expérience méthodologique interdisciplinaire développée dans le programme MINEDOR.

Thème 2 : Représentations et cartographie

À l’ère du GPS, les progrès techniques de la cartographie ont modifié notre compréhension de l’espace. Ces évolutions permettent d’inclure la recherche sur les cartes historiques et l’analyse des évolutions territoriales de l’Antiquité à nos jours. La production d’un et de cartes permet de caractériser et de visualiser les étapes et la complexité du processus historique. Le choix d’un terrain d’étude comme la région historique de l’Auvergne (Allier, Cantal, Haute-Loire et Puy-de-Dôme) autorise un jeu d’échelles allant du département à la parcelle cadastrale. Pour autant, ce serait une erreur de considérer l’espace régional pour lui-même, tel un îlot coupé du contexte national et occidental. La prise en compte des marges et des confins interroge la notion de continuité spatio-temporelle.

L’équipe rassemble une trentaine de chercheurs aux compétences disciplinaires diverses : archéologues, cartographes et géomaticiens, géographes, historiens, hydrologues, juristes, vulcanologues. Il s’agit d’un travail qui a déjà conduit à la production d’une trentaine de cartes inédites et analysées. Une collecte considérable de données de première main (archives manuscrites, sources imprimées) a été entreprise grâce aux relations nouées avec des institutions et des partenaires nombreux. Nous nous appuyons sur des collections exceptionnelles de cartes anciennes, dont nous n’avons pas encore achevé d’explorer toute la richesse : les 400 références du fonds Delaunay du XVIe au XXe siècle (Bibliothèque du patrimoine de Clermont-Ferrand), le cadastre « napoléonien » du Puy-de-Dôme (Archives départementales), la carte des diocèses de France d’Ancien Régime d’un collectionneur privé, Jacques de Font-Réaulx (1893-1979) et les ressources des grandes collections publiques (Archives nationales et Bibliothèque nationale). L’exploitation de ce corpus de sources sera achevée prochainement.

La création et la mise en œuvre d’un Système d’information géo-historique nécessitent d’affronter un défi technique. Pour ce faire, il nous faudra intégrer nos données dans un géoserveur. L’association avec la plateforme GeoHistoricalData permettra de saisir et de diffuser nos cartes. Afin de construire les outils géomatiques, un partenariat déjà actif a été conclu entre le CHEC et l’EHESS (CRH, Ladéhis) pour la création d’un espace de travail en ligne dédié au Massif central. Voilà pourquoi nous allons contractualiser une collaboration sur le temps long avec l’EHESS, en complément de la convention déjà signée. Le programme s’appuie donc sur une démarche collaborative au sein d’un outil commun. Dans le cadre de la vectorisation de la carte de Cassini, après avoir traité la feuille 52 (Clermont), l’objectif est de conserver celle-ci comme test afin de zoomer à l’échelle du cadastre napoléonien. Nous souhaitons également engager une étude similaire pour d’autres départements du Massif Central.

Les productions, de nature variée, s’adresseront à différents publics : – des données géomatiques, disponibles au téléchargement, en libre accès, à l’intention des chercheurs en sciences humaines et sociales ; ce schéma en open access peut aussi être transposé et déployé par des équipes d’autres régions ; – des ressources géohistoriques accessibles en ligne à destination d’usagers divers : collectivités locales (départements, communes,…) dans le cadre de l’aménagement de leur territoire, spécialistes et érudits pour la production de leurs travaux ; – des productions pour le grand public : un Atlas historique régional (format livre d’art), des cartes historiques grand format (Cassini), une localisation en ligne de lieux (hameaux, châteaux, moulins,…) ; plus largement, notre ambition est de documenter les lieux de manière à constituer un nouveau « dictionnaire topographique des paroisses et communes » en ligne.

Thème 3 : Villages

 

À l’heure où certains sonnent la « fin du village » (tel Jean-Pierre Le Goff dans son ouvrage de 2012), tandis que d’autres célèbrent l’avènement du « village global », la globalisation en cours, synonyme de métropolisation et de tertiarisation, invite souvent à porter un regard nostalgique sur ce qui constitue la forme d’organisation communautaire de l’habitat la plus ancienne et la plus répandue. L’histoire et la géographie nous rappellent cependant que le village immémorial, pôle de stabilité et d’enracinement, n’existe pas, et que le village est un fait culturel complexe, toujours en mouvement. À ce titre, le village justifie une grande diversité d’approches et de points de vue. Nous souhaitons en nourrir notre réflexion, en favorisant l’ouverture interdisciplinaire, diachronique et conceptuelle, sans jamais oublier l’historiographie et l’impératif d’historicisation qui est le nôtre.

L’essor de l’archéologie préventive au cours des dernières décennies a profondément renouvelé la question de l’histoire du village. Au XIXe siècle, à une époque où l’essentiel des connaissances venait des textes, Fustel de Coulanges estimait que le village était sans importance dans l’Antiquité. Les modèles sont aujourd’hui plus complexes, plus nuancés, plus régionalisés. La question du village antique ne peut être dissociée de celles de la villa et des petites villes. Elle interroge le sens du terme vicus. Pour la période médiévale, le modèle développé par Robert Fossier dans les années 1980 a été remis en question par les découvertes archéologiques réalisées au cours des décennies suivantes. Dès le début des années 2000, des archéologues ont rejeté les modèles établis, et affirmé la nécessité de ne pas enfermer une forme de peuplement dans une région ou une période. Quant aux protohistoriens, ils reviennent sur l’usage systématique qu’ils ont fait du terme village dans les années 1980, au profit de la ville et du hameau.

On voit bien, à travers ces débats, qu’il y a la place pour un travail de mise au point, tant sur le plan conceptuel que du point de vue documentaire et historique. L’équipe de l’axe 3 du CHEC a toute légitimité, nous semble-t-il, pour aborder cette question dans la mesure où ce sujet est étroitement lié aux recherches qu’elle conduit de longue date sur les formes et les dynamiques de l’habitat dans les secteurs de moyenne montagne, à l’Atlas de l’Auvergne et plus largement aux travaux relatifs au cadre paroissial, aux réseaux de sociabilité et aux espaces collectifs.

Elle a opté pour un mode d’organisation souple, fondé sur la combinaison, annuelle, d’un séminaire interne et d’une table ronde ouverte le plus largement à des intervenants extérieurs. Ce programme devrait déboucher sur l’organisation de colloques (dont un colloque AGER), l’édition des journées d’études et la réalisation d’un corpus. La réunion de lancement du projet organisée le 11 avril 2019 a suscité un vif engouement au sein du laboratoire, débordant largement l’équipe de l’axe 3, ce qui contribuera à l’avenir à renforcer la transversalité inter-axes. La première table-ronde, programmée pour le 5 novembre 2019, permettra de dresser un bilan historiographique et conceptuel par période chronologique et par champ disciplinaire.

La réflexion s’articulera autour de quatre thématiques :

Penser le village : problèmes historiographiques et conceptuels :

Il s’agira de dresser un bilan historiographique par période (de la Préhistoire à l’époque contemporaine), de confronter les points de vue et les modèles (archéologues, historiens, géographes, sociologues). Questions liées : diversité du vocabulaire, place des activités agricoles et plus largement de la production au sein de l’habitat, topographie villageoise, forme du bâti, maison et architecture domestique, dimension communautaire, aspects juridiques.

La question du village antique :

L’objectif est de rassembler la documentation archéologique relative aux villages reconnus ou supposés comme tels sur le territoire des Gaules à l’époque romaine, de la traiter de manière normalisée, de réfléchir aux marqueurs archéologiques, à la place et à la géographie du village dans les campagnes. Questions liées : fonctions, place des activités agricoles (y compris dans les agglomérations secondaires), formes du bâti, marqueurs de vie communautaire, rapports villa/vicus, pagus, question de l’autonomie administrative.

Sociétés villageoises :

Il s’agira d’appréhender ce que Maurice Agulhon a nommé l’interconnaissance, c’est-à-dire une forme particulière de sociabilité fondée sur l’expérience, la dimension affective et pour ainsi dire existentielle de la relation au groupe environnant, qui varie en fonction de la structure du village et des recompositions sociales. Questions liées : solidarités, voisinage, comportements, mentalités, mobilités des populations rurales, espace d’identification, espace de production.

Villages, territoires, réseaux :

Il s’agit ici d’envisager le rôle du village dans le système de peuplement et la dynamique des interactions villes-campagnes, sa place dans la hiérarchisation des réseaux urbains, qui prend en compte les formes d’habitat agglomérées les plus modestes, aux franges de l’« infra-urbain ». Questions liées : pagus, paroisse, hameaux, villes, terroir, finage, territorialité, paysage, thématique de la disparition, articulation local/global.